« Célébrer l’engagement et la tradition humanitaire de la Suisse ». C’est avec cette volonté que la Ville de Lausanne a annoncé ce mercredi la personnalité de son invité d’honneur pour les festivités du 1er août : Philippe Lazzarini, Commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). « Personnalité́ suisse incontournable sur la scène diplomatique internationale », il est décrit comme incarnant « parfaitement l’engagement pour la paix et la tradition humanitaire de notre pays, partie intégrante de notre histoire et de notre cohésion nationale. »
« De l’huile sur le feu »
À peine annoncé, ce choix a fait tousser. Sur les réseaux sociaux d’abord, avec près de 8000 vues sur X (ex-Twitter) et des commentaires virulents : « Aviez-vous vraiment besoin de jeter de l’huile sur le feu et d’attiser les divisions entre Lausannois un jour de fête nationale ? », tonnait un internaute le jour-même. Et un autre d’enchaîner : « Mes pensées vont à la communauté Juive de Lausanne qui appréciera votre initiative à sa juste valeur. » Il faut dire que depuis plusieurs mois, la neutralité de l’UNRWA dans le conflit au Proche-Orient fait débat. À tel point que le renouvellement du soutien de la Suisse à l’agence onusienne a suscité d’âpres débats au niveau fédéral, pour finalement déboucher sur une solution de compromis à dix millions.
Cette semaine, cette défiance vis-à-vis de la posture de l’UNRWA a suscité un élan pétitionnaire. Diffusée par des milieux pro-Israël, chrétiens ou en encore laïcs, une lettre demande à la Ville de revenir sur un choix « désastreux », la neutralité suisse étant carrément « bafouée » un jour de la fête nationale. Parmi ses relais politiques, Patrizia Mori, de l’UDC Lausanne : conseillère communale « qui tient à sa ville et à la neutralité », elle dit s’être sentie « révoltée » à la lecture du communiqué de la Ville. « J’ai trouvé ça complètement incompréhensible. Il y a un lieu et un temps pour tout… »
Aurait-on assisté à une « faute morale » de Lausanne ? Le député Vert’libéral David Vogel n’ira pas jusque-là. Ces derniers mois, cet élu est souvent monté au front contre les occupations d’université ou la hausse des actes antisémites, mais il tempère « Les pratiques de l’UNRWA ont été et sont critiquées par certains et sont louées par d’autres. Libre à la Municipalité d’inviter qui elle veut et d’être de ceux qui la supporte, c’est son droit. »
Pas la bonne année
Le problème, à ses yeux, est de faire un tel choix cette année en particulier : « Dans un tel contexte très « chaud » sur la question israélo-palestinienne, vu les évènements à l’UNIL et à l’EPFL, vu les dérapages antisémites en hausse, c’est importer en terre vaudoise un conflit et créer des tensions dont on aurait largement pu se passer. Résultat ? Des partisans chauffés à blanc des deux bords vont venir avec des drapeaux israéliens et palestiniens pour soutenir leurs idées et on va oublier de parler de ce qui nous réunit. Le 1er août est et doit être une fête qui rassemble, qui unit. Là, la Municipalité fait le choix politique de diviser et de créer des tensions. C’est d’une rare sottise que de ne pas prendre cet élément en compte dans son choix des invitations. »
Et de préciser qu’il aurait réagi de la même manière si Lausanne avait invité l’ambassadrice israélienne ou un représentant de l’Autorité palestinienne.
Le syndic de Lausanne, Grégoire Junod, réagit aux critiques
- Ces réactions surprennent-elles la Ville ?
Nous vivons une époque où l’actualité internationale, souvent tragique, nous préoccupe et occupe une place importante dans le débat politique en Suisse. C’est donc normal qu’il y ait des réactions. Philippe Lazzarini est suisse et a suivi une partie de ses études à Lausanne.
Engagé depuis trente ans dans l’aide humanitaire dans des zones de conflit, il est aujourd’hui commissaire général de l’UNRWA, poste auquel il a été nommé par le secrétaire général des Nations Unies. Il fait donc partie des citoyens suisses qui occupent parmi les plus hautes fonctions au niveau international. C’est dire s’il est légitime à être notre invité d’honneur à l’occasion de la fête nationale. Son engagement symbolise parfaitement la tradition humanitaire de la Suisse, constitutive de ce qu’est la Suisse. C’est un message fort de paix, de solidarité à l’égard de toutes les victimes civiles sur un terrain de conflit armé qui pourra être entendu le 1er août prochain.
Enfin, il convient de rappeler que la Suisse, comme de très nombreux États, a rétabli son soutien à l’UNRWA, après que l’organisation a été lavée de tout soupçon de complicité dans les atroces massacres commis par le Hamas le 7 octobre dernier.
- Depuis combien de temps cet invité était-il prévu ?
Les premiers contacts ont été pris il y a quelques semaines.
- Sur le fond, une telle invitation est-elle prudente dans la foulée des tensions qui ont notamment marqué les esprits à l’UNIL sur fond de conflit au Proche-Orient ?
Ne mélangeons pas tout. Philippe Lazzarini est un haut fonctionnaire de l’ONU, une des personnalités suisses les plus en vue sur la scène internationale et un acteur majeur de la solidarité avec les victimes civiles dans un conflit armé. C’est une figure dont l’engagement fait honneur à la Suisse et à sa tradition humanitaire. La Suisse a d’ailleurs été un acteur important de la paix au Proche-Orient avec son soutien à l’initiative de Genève en 2003.
La fête nationale est un moment de rassemblement et de communion. C’est un message de paix et de dialogue qui sera porté le 1er août prochain, dans la tradition de notre pays.