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Contre la crise du deal, le retour aux frontières ?

Ces dernières semaines, Yverdon-les-Bains a supplanté la Riponne dans les esprits en tant que symbole romand des ravages de la drogue. Mais un problème de souveraineté ne se cache-t-il pas derrière cette crise ?

Nous sommes un dimanche au crépuscule, sur un parking en périphérie du centre-ville. Depuis près d’une heure, une patrouille est arrêtée près d’une voiture étrange, immatriculée en Valais et frappée du logo d’une unité américaine. Il y a là un vrai véhicule de police, de la Police Nord Vaudois pour être précis, et celui de l’agitateur public yverdonnois Ruben Ramchurn.

Si le trio dialogue depuis de longues minutes, c’est que l’ancien président de l’UDC locale a de nouveau été ciblé par les dealers qui hantent le centre-ville de la Cité thermale. Depuis son retour de l’Île Maurice ce printemps, en effet, pas un jour ne passe sans que le conseiller communal ne filme et ne documente la dégradation de la scène de la drogue locale, lourdement péjorée par l’arrivée du crack. Une activité débordante sur TikTok qui lui vaut désormais d’être pris pour cible, comme ce dimanche soir, dès que son bolide fantasque approche trop du secteur concerné.

Une crise sanitaire… et politique

À Yverdon-les-Bains, la problématique de la drogue n’en finit plus de susciter des débats particulièrement âpres depuis quelques semaines. Bien chauffée sur les réseaux sociaux en amont, l’assemblée du législatif a même pris des allures de guerre de tranchée le 12 septembre dernier. La Ville en fait assez contre les ravages du crack ? La Police cantonale doit-elle venir soutenir davantage les efforts sécuritaires régionaux, courageux mais limités ? La réponse socio-sanitaire fonctionne-t-elle comme un appel d’air ? Ruben Ramchurn lui-même n’attire-t-il pas dealers et consommateurs dans le Nord vaudois avec ses vidéos quotidiennes ?

Une question toute bête, cependant, semble souvent absente des débats : ces dealers, au juste, doit-on vraiment considérer comme une fatalité qu’ils se trouvent dans nos rues ? La plupart, en effet, sont officiellement considérés comme des touristes bénéficiant des accords de Schengen, détenteurs de passeports de « réfugiés » italiens et portugais. Face à la crise sanitaire à laquelle ils participent d’une ville à l’autre, une première réponse ne serait-elle pas de reprendre en main nos frontières ? Pour le conseiller communal socialiste Abdelmalek Saiah, là n’est pas l’enjeu.

Au Conseil communal, le jeune élu a appelé à renforcer les moyens de lutte contre l’amalgame « personne de couleur égale dealer ». Mais aussi détestables soient-ils, ces sentiments racistes ne sont-ils pas les effets secondaires d’une perte de maîtrise de nos frontières, visible sur le terrain ? Lui juge que non : « Si on est d’accord que le deal se développe essentiellement parce qu’il y a des consommateurs, fermer les frontières ne résoudrait pas la question et rendrait notre pays beaucoup plus difficile d’accès à l’immense majorité d’une immigration précieuse et utile pour notre pays. Si quelques dizaines de dealers profitent de la libre-circulation, il ne faut pas oublier les milliers de personnes à qui elle profite aussi… ainsi que l’économie suisse. »

Un manque de volonté politique

Directement visé par cette interpellation (il évoque volontiers les « mafieux nigérians » dans sa communication), Ruben Ramchurn partage au moins avec son adversaire politique le fait de ne pas tout mettre sur le dos des accords de Schengen. Pour lui, la crise qui touche sa ville, comme Vevey, est le résultat d’un laxisme typiquement vaudois en matière d’application de la loi sur les étrangers, la plupart de ces dealers étant sur le territoire depuis une période excédant largement les trois mois autorisés par leur visa Schengen Des leviers pourraient du reste être activés, même dans le cadre de ces accords, pour reprendre le contrôle de la situation, rappelle-t-il. En exemple, il cite les blocages de visas Schengen acceptés par le Conseil Fédéral lors de la crise diplomatique avec la Libye, survenue à la fin des années 2000. « Mais oui, le fond demeure : avec ces accords, on a abandonné une bonne part de notre souveraineté et on a mis en danger notre sécurité intérieure sur bien des points. »

Dans le fond, la crise du deal apparaît de plus en plus comme le résultat d’une collision entre objectifs contradictoires : « La Suisse veut bénéficier des accords européens pour soutenir son commerce extérieur et avoir une libre circulation pour les touristes, synthétise le municipal PLR Christian Weiler, responsable de la sécurité à Yverdon. Ces énormes avantages économiques ont des effets secondaires avec l’absence de contrôle aux frontières. On est très mal armé juridiquement contre les touristes qui commettent des délits. » Mais la problématique ne s’arrête pas là : « On doit aussi faire de la prévention sur les effets du crack, rouvrir des centres de soins pour toxicomanes, adapter notre arsenal juridique, retrouver des capacités d’incarcération et augmenter la répression. » Pas une simple affaire, donc, surtout dans un contexte marqué par une légalisation progressive des drogues : « La guerre contre le cannabis est perdue et on suit avec les autres substances. C’est un sujet de société qui se complique avec l’évolution du mal-être chez passablement de jeunes ! Vaste sujet ! »

Reste un exemple venu d’Allemagne pour faire face, au moins, à l’aspect migratoire du problème. Frappée par d’autres problématiques, en particulier par le terrorisme islamiste, l’Allemagne vient de décider de rétablir des contrôles à toutes ses frontières pour une durée de six mois. Une mesure exceptionnelle au sein de l’Espace Schengen, prévue pour faire face à des menaces importantes à la sécurité publique.

Et si les ravages du crack finissaient par ressembler un peu à de tels dangers…

– Raphaël Pomey