« La neutralité ne peut pas permettre une telle indifférence ». Après le refus des élus UDC d’écouter un discours du président ukrainien Zelensky programmé durant leur pause, la conseillère nationale vaudoise PS Brigitte Crottaz n’avait pas de mots assez enflammés pour dénoncer ses collègues. Pire, pour son camarade Roger Nordmann, le parti agrarien se comportait en « vassal » de Vladimir Poutine en refusant de goûter docilement la soupe de son adversaire.
S’il y a une chose, en effet, que la neutralité ne semble plus autoriser depuis quelques mois, c’est la pondération dans la manière d’aborder le conflit qui fait rage à l’Est. Que des familles soient déchirées d’un côté et de l’autre de la frontière, des exactions commises de toutes parts et les intérêts géopolitiques complexes, peu importe ! Il faut que les étendards ukrainiens flottent sur nos hôtels de villes ! Et bien sûr, contre toute la tradition politique et les intérêts de notre pays, il est indispensable que nous continuions à participer à la campagne internationale de sanctions contre Poutine !
Naissance d’une girouette
« La Suisse est en train de perdre sa crédibilité à l’étranger », déplore un acteur du commerce international, tenu à l’anonymat pour des raisons professionnelles. De modèle de stabilité, il explique que la Confédération est de plus en plus considérée comme une girouette avec sa neutralité à géométrie variable. Au point que certains pays, par exemple dans le monde arabe, rechignent désormais à commercer avec elle. Leur crainte est que, en fonction de nouveaux changements d’équilibres géopolitiques, la Suisse s’aligne sur des décisions hostiles à leur sujet décidées par les nouveaux dominants.
Mais qu’est-ce que la tradition de neutralité suisse ? Et pourquoi la « neutralité active » tant vantée en son temps par la conseillère fédérale socialiste Micheline Calmy-Rey est une impasse ? Pour le saisir, repensons à un épisode fondateur de la tradition humanitaire de la Suisse, l’accueil de l’armée Bourbaki. Nous sommes en 1871, et la guerre franco-prussienne sème la désolation. Exténuée, mourant de faim et de froid, l’armée de l’Est du général Bourbaki se replie à la frontière, depuis Pontarlier, et demande l’asile à la Suisse. Pas moins de 87’000 hommes et 12’000 chevaux trouveront refuge dans la paisible Helvétie. La population présente en Suisse augmente soudainement de 3% mais grâce à une action humanitaire exceptionnelle, les réfugiés se refont une santé et bénéficient de l’expression la plus haute des valeurs helvétiques.
Une main de fer dans un gant de velours
Dirait-on que la Suisse s’est alors comportée en vassale de la France ? Au contraire, même :
pour remplir son rôle, la Confédération avait exigé des soldats qu’ils déposent leurs armes à la frontière, premièrement. La restitution à la France de ces dernières, une fois la paix rétablie, était en outre corrélée au remboursement par la France des frais occasionnés par le séjour de ses troupes sur nos terres. Voilà ce qui s’appelle une main de fer dans un gant de velours !
Et pourtant, plus de 150 ans plus tard, cet épisode glorieux est encore dans les mémoires et fonde une relation d’amitié forte dans les régions frontalières. Une exposition bouleversante sur le sujet est même à l’honneur du musée de Pontarlier jusqu’en 2030 !
Que le cœur des uns et des autres aille à l’Ukraine ou à la Russie, peu importe. Les intérêts de la Suisse ne sont pas dans l’aplaventrisme devant un belligérant, quel qu’il soit. Pour que la position de notre pays redevienne claire et crédible, il s’agit aujourd’hui de refuser la moraline ambiante et de retrouver le sens d’une neutralité sans compromis, mais fidèle à notre destinée.