Les élites suisses rêvent de prendre part aux conflits de ce monde. Trop souvent, nos élus fédéraux se laissent emporter par un désir pernicieux de faire partie des « grands » : cette caste qui distribue les sanctions et décide des opinions acceptables ou non en matière de géopolitique. La grande majorité du temps, ces objectifs contraires aux intérêts de notre pays sont poursuivis sous les louanges des universitaires et des médias, obnubilés par le désir d’appartenir au camp du progrès et de la tolérance.
A l’inverse, ceux qui défendent une vision stricte de la neutralité perpétuelle et armée de la Suisse n’en finissent jamais de faire face aux caricatures. Ils appartiendraient, selon Watson, à « la droite dure-dure », voire aux adeptes du « repli sur soi », pour citer l’ancien président français François Hollande. Selon une récente tribune de l’ancienne conseillère fédérale socialiste Micheline Calmy-Rey, un fossé existerait même « entre les partisans d’une neutralité intégrale » – comprenez les rétrogrades – « et ceux qui fondent la neutralité sur le droit international ». C’est l’appartenance à la deuxième catégorie de personnes, sans doute, qui l’a autrefois poussée à prendre des positions extrêmement tranchées sur des conflits qui ne concernaient en rien notre pays.
L’étude allemande qui remet les choses à leur place
Exiger une politique conforme à une tradition qui a fait ses preuves depuis des siècles serait-il réellement le signe d’un esprit étroit ? Rien ne permet de l’affirmer. Au contraire, une récente étude allemande vient largement remettre en question la prétention des belles âmes de la gauche urbaine « ouverte sur le monde » et anti-souverainiste à incarner le stade suprême de la tolérance.
« La population citadine, que l’on croit ouverte sur le monde, accepterait en fait bien moins les opinions des autres que la droite campagnarde », résume ainsi 20 minutes. Et le politologue Michael Hermann, cité par la SonntagsZeitung, d’enfoncer le clou : « Comme la gauche prétend s’engager pour le bien, pour les faibles et les minorités, elle se considère plutôt dans son bon droit – elle a donc le droit de s’en prendre à ceux qui sont du ‘mauvais’ côté. »
Comment ne pas faire le rapport avec tous ceux qui, sous couvert d’une solidarité bien compréhensible envers le peuple ukrainien, n’ont de cesse de caricaturer la position de Pro Suisse concernant les rapports que nous devons entretenir avec Kiev, le Kremlin ou tout autre belligérant ? Que l’on ne s’y méprenne pas, la neutralité que nous défendons n’est pas synonyme d’un relativisme moral du camp souverainiste. Au moment de défendre notre tradition politique, le président de l’UDC Marco Chiesa n’a par exemple pas hésiter à condamner la guerre menée par la Russie en Ukraine. Pourquoi faudrait-il forcément s’aligner sur les sanctions économiques de l’UE pour qu’un tel message soit entendu ?
Avec l’initiative sur la neutralité, Pro Suisse s’engage pour que notre pays demeure crédible sur la scène internationale. Sa vocation ne consiste pas à s’engager tête baissée dans un camp ou dans l’autre, en cas de conflit. Il s’agit au contraire, selon le texte même du projet, « de soigner nos relations avec le monde entier » pour jouer notre mission de bons offices et favoriser la paix dans le monde.
Raphaël Pomey