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« Le mythe donne du courage »

Discours pour la Fête nationale 2023 Christoph Blocher, ancien conseiller national et fédéral

732 ans d’indépendance

Nous sommes réunis aujourd’hui dans un cadre magnifique entre les deux lacs de l’Oberland bernois et à l’ascension la région de la Jungfrau pour célébrer le 732e anniversaire de notre pays.

Oui, mesdames et messieurs, notre pays a vu le jour en 1291, l’année du serment au Pacte fédéral.

732 ans ! Peu de pays dans le monde existent depuis si longtemps. C’est avec beaucoup de joie et de gratitude que nous constatons que ce pays a vécu 732 ans.

Oui, autrefois, par une nuit d’été de 1291, quelques hommes de Suisse primitive ont prêté serment, un serment éternel pour construire l’avenir du pays.

« Nous voulons être libres comme nos pères l’étaient ».

« Nous ne voulons pas de juges étrangers », cela signifie aucune autorité étrangère.

Nous ne nous soumettrons pas aux Habsbourg.

Nous restons unis et si l’un d’entre nous est attaqué, nous l’aiderons, mais nous exigeons également que les fonctions assumées par les nôtres ne leur profitent pas, mais servent uniquement le pays lui-même, à savoir la Confédération.

De belles paroles, penserez-vous. Oui, mais comme l’histoire le montre, ces paroles ont été suivies d’actes.

Le serment prêté au Pacte fédéral est toujours valable aujourd’hui. Il est inclus dans la Constitution fédérale actuellement en vigueur. Même dans l’intitulé : comme dans le Pacte fédéral, on dit encore aujourd’hui : « Au nom de Dieu Tout-Puissant! ». Nous savons donc depuis 732 ans que nous avons besoin de l’aide de Dieu.

C’est pourquoi nous chantons dans l’hymne national suisse : « Au ciel montent plus joyeux, les accents d’un cœur pieux ».

Attaque sur le jour de la naissance

Mais mesdames et messieurs, quiconque jette un œil sur le présent doit reconnaître que beaucoup, beaucoup trop de personnages délaissés intérieurement aimeraient renoncer à cette naissance. Dans leur pensée prétendument moderne, en fait adolescente, les membres du Conseil national veulent ainsi déclarer le 12 septembre 1848, soit le jour de la promulgation de la Constitution fédérale, comme autre fête nationale. La Suisse devrait donc maintenant avoir plusieurs anniversaires.

J’ai l’impression que ces « têtes pensantes » seraient prêtes à renier leur propre naissance pour célébrer, par exemple, l’anniversaire de leur diplôme universitaire.

La vie passée, largement marquée par des parents attentionnés, serait laissée de côté.

Ces têtes prétendent, parce qu’elles savent que les Suisses ne renieront pas leur anniversaire de 1291, que deux fêtes nationales pourraient avoir lieu, à savoir l’une pour 1291 et l’autre pour 1848. Mais voici leur réelle motivation : elles ne veulent plus du serment d’indépendance, d’une Suisse indépendante, afin d’être libres de soumettre la Suisse à une domination étrangère, que ce soit dans l’Union européenne, l’OTAN, l’Organisation mondiale de la santé et bon nombre de ces clubs internationaux.

Elles affirment, avec toutes sortes de raisonnements et de philosophies prétentieuses, que le serment du Rütli n’a jamais existé. Personne ne peut le prouver. Mais elles gardent sagement sous silence le fait que l’on ne puisse pas non plus prouver le contraire.

Le mythe

Oui, mesdames et messieurs, l’histoire de Rütli et l’histoire de Tell sont des mythes. C’est ce qui les rend précieuses. Elles diffusent la vérité profonde du mythe.

Ce sont des histoires sur des événements passés depuis longtemps, généralement sur des héros et des actes héroïques, qui sont transmises oralement.

Mais ceux qui les analysent découvriront c’est la vérité profonde des mythes. Ils contiennent plus de vérité que le « Téléjournal » d’hier à la télévision suisse !

L’histoire fondatrice de notre pays repose sur une histoire « héroïque ancienne », et c’est précisément pour cela qu’elle est si précieuse. Plus le mythe est raconté longtemps, plus la vérité s’exprime.

La prairie inaccessible du Rütli, un serment éternel, une promesse solitaire dans la nuit noire, tout ceci exprime la vérité des actes en période de grande détresse, « dans la malice des temps », comme le dit le Pacte fédéral. Nous pouvons nous en tenir à cela. Nous ferions bien de l’imiter : le mythe donne du courage.

Un serment des trois doigts, au nom du Dieu trinitaire Tout-Puissant, rend l’ensemble lourd de sens et donne du courage à l’humilité.

La vérité de ce mythe est suprême et éternelle. Elle donne le courage d’agir. Pour la Suisse depuis 732 ans. Ceux qui s’en tiennent à ce mythe auront le courage de suivre la bonne voie. Ceux qui rejettent la vérité conduisent le pays à la dérive.

Et si nous sommes aussi résolus que les hommes le 1er août 1291 sur le Rütli, alors notre pays ira bien. Le serment de Rütli, ce mythe, donne le courage de façonner l’avenir.

Guillaume Tell

Mais notre pays a la chance d’avoir non pas un, mais deux mythes fondateurs. Nous avons aussi l’histoire de Guillaume Tell, le solitaire presque introverti qui sympathise avec la cause des Confédérés, mais reste à l’écart. Sous la contrainte des circonstances, il se transforme en meurtrier tyrannique solitaire qui libère le pays de l’arbitraire et cruel bailli Gessler. Gessler représente le tyran de la Suisse et Tell le rebelle qui refuse que Gessler puisse exercer son métier et doit finalement le payer de sa vie.

Tell n’est pas adapté aux causes communes, on parlerait probablement aujourd’hui d’« esprit d’équipe ». Il décline l’invitation au Rütli, avec cette brève justification : « l’homme fort n’est jamais plus puissant que quand il est seul ».

Mais le serment de Rütli est l’acte de la communauté et du sens commun ou, comme l’exprime Schiller : « nous voulons être un peuple uni de frères que ni la détresse ni le danger ne sépareront ». C’est la promesse de se soutenir les uns les autres, de se précipiter au secours les uns des autres à l’heure du danger et de n’accepter aucune domination étrangère – « Lorsqu’ils sont unis, même les faibles deviennent puissants ».

C’est le grand poète allemand Friedrich Schiller qui a magistralement transformé ce mythe suisse en un drame en vers.

Tell c’est la vérité, peu importe qu’il ait vécu ou non.

Les autres personnages mythologiques du « Tell » de Schiller transmettent également de merveilleuses vérités de la vie.

Par exemple, les femmes fortes qui soutiennent leurs maris souvent déprimés et découragés et les poussent à l’action libératrice.

Comme Gertrud Stauffacher, qui crie à son mari, rempli de doutes : « regarde en avant, Werner, et pas derrière toi ! » Gertrud est la première instigatrice derrière la libération de la patrie.

Tous ces héros du quotidien pourraient être nommés ici. C’est le mérite du théâtre Guillaume Tell d’Interlaken de toujours nous rappeler ces vérités. C’est, mesdames et messieurs, ce qui donne du courage : merci au théâtre Guillaume Tell d’Interlaken, car le mythe donne du courage !

Le courage du mythe nous rend plus forts dans la vraie vie de tous les jours. Ces vérités sont perpétuelles et donc à la pointe de la modernité en tout temps. Elles sont, aujourd’hui plus que jamais, nécessaires. Tell et ses personnages sont des modèles.

Gottfried Keller l’a décrit ainsi dans son poème « Die zwei Tellen-Schüsse » :

« Ont-ils vraiment eu lieu ? Ce n’est pas la question ; La perle de toute fable est son sens. La moelle de la vérité y est fraîchement cachée,Le noyau mûr de toutes les légendes populaires ».

L’acte de naissance

Nos mythes fondateurs sont également enrichis par un véritable document fondateur. Le Pacte fédéral, rédigé à l’été 1291, est disponible et peut être consulté par nous tous au Musée des chartes fédérales de Schwytz.

Une seule page, écrite sur un parchemin, 20 centimètres de haut et 32 centimètres de large. Elle ne comprend que 17 lignes (on ne parle pas de 1 865 pages, comme l’actuelle ordonnance suisse sur les denrées alimentaires. Mais devinez laquelle de ces deux lois durera le plus longtemps !).

Derrière ce Pacte fédéral, il n’y a aucune volonté souveraine, aucun groupe d’experts, aucun professeur de droit d’État n’y a écrit des principes constitutionnels sophistiqués. C’est une déclaration de volonté de simples paysans qui avaient les deux pieds sur terre et se sont accrochés à ce qui allait durer pendant plus de 732 ans.

Les paysans de la Suisse centrale ne savaient ni lire ni écrire, un moine l’a écrit pour eux. Ils n’avaient pas étudié, mais ils étaient intelligents !

Les anciens Confédérés ont fixé des limites. Ils ont dit Non à l’État administratif européen des Habsbourg qui voulait mettre la main sur la liberté des Confédérés.

Oui, mesdames et messieurs, c’était il y a 732 ans, mais que « ceux qui ont des oreilles puissent entendre et que ceux qui ont des yeux puissent voir » ! C’est tout à fait d’actualité : comme à l’époque, beaucoup veulent mettre la main sur le « Schwiizer-Ländli ».

Nous disons non, et le mythe donne du courage :

ce qui était vrai à l’époque est vrai aujourd’hui et continuera d’être vrai à l’avenir.

Le secret du succès

Mesdames et messieurs, pourquoi la Suisse, ancienne maison de charité de l’Europe, est-elle devenue l’un des pays les plus riches du monde ?

Le mythe de notre naissance est devenu le concept de survie, ou pour vous parler en langage moderne, le modèle économique de notre Suisse, la plus ancienne organisation d’entraide au monde. Et si l’on s’y tient, rien ne changera.

La maison suisse a été construite d’en bas, sur la prairie solitaire. Et c’est sur cette base qu’elle a été renouvelée au 19e siècle avec la Constitution fédérale, qui est, elle aussi, une œuvre pionnière.

Et par chance, la parole décisive dans ce pays appartient au peuple, aux citoyens, aux Confédérés. C’est pourquoi aucun monarque ou dictateur n’a pu déclencher des guerres et entraîner ainsi notre pays dans les catastrophes et les bouches de l’enfer du 20e siècle. C’est ainsi qu’est née la neutralité suisse si spéciale, qui nous a protégés et nous protégera des guerres meurtrières. C’est pourquoi, même maintenant, alors que la guerre en Europe de l’Est est malheureusement revenue, nous exigeons que nos dirigeants n’agissent pas et n’interfèrent pas, mais respectent la « non-alliance » et restent neutres.

Le maintien de la neutralité est plus que jamais d’actualité !

La neutralité suisse remonte, non pas légalement, mais historiquement, à la mémorable bataille de Marignan en 1515, un autre mythe qui donne du courage pour aujourd’hui et demain.

Conclusion

En février 1848, Jonas Furrer de Winterthour, le premier président de la Confédération suisse de la Suisse moderne, s’adressa directement aux puissances étrangères avec la note suivante: « la Suisse indépendante continuera à se gouverner elle-même ».

Le Pacte fédéral est la base de la liberté suisse et de l’autodétermination envers l’extérieur. Et la Constitution fédérale régit la Suisse à l’intérieur : à travers elle, les droits de cité et la garantie de la propriété, la neutralité et l’économie de marché sont devenus un moteur insoupçonné de progrès et de prospérité. Sans le mythe de sa naissance avec le Pacte fédéral, la Suisse ne serait jamais devenue ce qu’elle est, et sans ce Pacte fédéral, la Constitution fédérale n’aurait jamais vu le jour.

Mesdames et messieurs, nos mythes nous donnent autant de courage que les actes de nos ancêtres. Nous ne devons pas nous contenter de serrer les poings. Tous nos principes constitutionnels et nos lois seraient en place pour établir l’ordre. Par exemple, pour gérer le problème de l’immigration de masse, la menace de la Suisse à 10 millions, mais aussi le chaos en matière d’asile.

Le Pacte fédéral et la Constitution fédérale sont un rejet de l’usurpation du pouvoir par l’État et de la restriction de la volonté du peuple. La lutte contre les « baillis étrangers » en Suisse et à l’étranger reste une tâche permanente. C’est la lutte perpétuelle pour la liberté.

Les mythes nous donnent du courage.

Je conclus avec le grand historien de la culture bâlois Jacob Burckhardt:

« La raison d’être du petit État est qu’il y ait un endroit sur terre où le plus grand nombre possible de personnes puissent être des citoyens au plein sens du terme. »

C’est avec ce message, cher-e-s compatriotes, que nous voulons aborder le 732e anniversaire de notre pays.