« Comment adapter la politique de neutralité aux nouvelles réalités provoquées par l’agression russe en Ukraine ? » Dans un texte publié juste avant la reprise par Le Temps, voici la question que pose l’ancien journaliste, désormais chroniqueur, Yves Petignat aux abonnés du journal libéral. Visiblement féru de politique étrangère, l’ancien chef de la rubrique suisse ne craint pas d’y aligner les poncifs pour prophétiser « l’obsolescence programmée de la neutralité ».
Petit florilège : pour l’auteur, notre pays serait fort mal servi par un Conseil fédéral qui « s’arc-boute » sur cette doctrine « comme si rien ne s’était passé » à l’Est. Quant au parlement, pourtant sagement occupé – sauf les élus UDC – à boire les paroles du président ukrainien Zelensky en juin, ce n’est pas mieux : le Conseil national se serait montré jusqu’ici « incapable de proposer une solution tenant compte à la fois de l’attachement identitaire des Suisses au principe de neutralité, de la nécessité de concrétiser notre solidarité européenne et des intérêts économiques de l’industrie d’armement. » Et Yves Petignat d’enfoncer le clou : « Alors que s’affirment partout des politiques identitaires (…) à quoi pourra bien servir la neutralité ? » On se le demande, vraiment.
Un vrai-faux observateur
Seulement, avant de répondre à cette question, sans doute faut-il s’arrêter un instant sur les procédés mis en place pour faire passer l’idée qu’une tradition pluriséculaire mériterait soudainement d’être jetée à la poubelle. Pour cela, d’abord faut-il rappeler quand dans une chronique de juin, le chroniqueur n’avait pas craint d’affirmer que « la Suisse, bien malgré́ elle, (était) entrée en guerre ». Les personnes qui nous l’auraient déclarée ? Les Russes, bien entendu, mais sur le front numérique : en fait, à grand renfort d’attaques informatiques et de campagnes de désinformation. Petite remarque en passant : des méthodes similaires, de la NSA d’Obama cette fois, n’avaient poussé aucun ténor de la caste médiatique romande à demander la mort (ou, pudiquement, « l’adaptation ») de la neutralité voilà quelques années.
C’est d’ailleurs là qu’intervient un procédé rhétorique puissant : loin de demander la fin d’un principe qui fait la renommée de notre pays depuis 1815, le journaliste prétend en constater simplement « l’obsolescence ». Quelle différence cela fait-il ? Simplement, au lieu de se présenter en militant, l’auteur (ndlr. d’ailleurs engagé en politique dans le privé) se place dans la peau de l’observateur qui relève un fait extérieur à sa volonté. De même, en demandant « comment » adapter la neutralité, il contourne astucieusement la question de savoir pourquoi il faudrait l’adapter aujourd’hui. Et cet aspect n’ayant pas été abordé, la voie devient libre pour reléguer les opposants au rang de ceux qui n’ont pas perçu que quelque chose « s’est passé », ou dont la défense de la neutralité découle d’un « attachement identitaire » irrationnel.
² https://www.24heures.ch/la-nsa-a-fait-mettre-sur-ecoute-des-lignes-de-swisscom-805765102577
Gardons foi en notre tradition
Ces différents procédés, dans le jargon journalistique, relèvent de ce que l’on appelle « l’anglage » d’un article. En soi, rien de dramatique, si une importante surreprésentation des journalistes de gauche ne conduisait pas un entre-soi idéologique à cultiver jalousement ces méthodes de construction de l’opinion. Comment faire face ? Simplement en posant les termes du débat nous-mêmes, dans le camp attaché à la souveraineté nationale. Voici par exemple deux questions qui peuvent servir : après avoir résisté à deux Guerres mondiales et une guerre froide qui menaçait l’humanité tout entière, pourquoi la neutralité mériterait-elle aujourd’hui d’être sacrifiée sur l’autel d’un conflit complexe. Oui, pourquoi faudrait-il abandonner tout ce qui fait notre singularité dans le cadre d’une guerre qui nous a déjà conduits à nous aligner servilement sur les sanctions européennes ?
La réponse est simple : ceux qui défendent un tel positionnement, la plupart du temps, n’ont plus foi en leur pays et se croient en sécurité à condition de ramper devant Bruxelles ou Washington. Telle n’est pas la voie pour laquelle se sont battus nos ancêtres. Ils n’« anglaient » peut-être pas de grandes chroniques, mais portaient haut les valeurs d’un pays sûr de lui et de sa mission dans le concert des nations.
Raphaël Pomey