« Pourquoi ce silence en Romandie ? ». Voici la question que posait le journaliste de Watson Antoine Menusier dans la foulée de l’attaque au couteau, samedi trois mars à Zurich, d’un juif orthodoxe par un ado de 15 ans. Se réclamant de l’État Islamique dans une vidéo, ce jeune Suisse d’origine tunisienne voulait participer avec son acte à « un combat mondial contre les juifs ». Une attaque d’une gravité peu commune en Suisse, mais trop peu traitée dans un premier temps par les médias romands aux yeux du journaliste. La faute à la barrière de la langue ? Peut-être mais pas seulement. Car pour Antoine Menusier, le fait divers venait aussi mettre le doigt sur les contradictions de notre politique d’intégration : « Parmi les antisémites, on trouve des jeunes gens pour lesquels sont élaborées des campagnes antiracistes », relevait-il ainsi dans sa chronique.
Des digues ont sauté
Une autre question mérite également d’être posée : celle du rejet croissant de notre tradition de neutralité. Du conflit ukrainien à la guerre au Proche-Orient, bien des digues semblent en effet avoir sauté dans l’affirmation des valeurs helvétiques. Ainsi n’est-il plus étonnant d’avoir le drapeau d’un belligérant sur un Hôtel de Ville ou des représentants d’un parti gouvernemental appelant à boycotter tous les produits d’origine israélienne. Fin février, une chercheuse de l’Université de Lausanne et députée socialiste vaudoise, Oriane Sarrasin, était allée jusqu’à annoncer son refus de collaborer professionnellement avec ses homologues de l’État hébreux ! Une initiative pour le moins troublante, s’agissant d’une employée d’une institution publique, mais qui ne l’avait pas empêché de recevoir le soutien de son président de parti, Romain Pilloud sur X (ex-Twitter ).
Et si ce climat inédit favorisait un ensauvagement de la vie publique ? Nous avons posé la question à Antoine Menusier. Pour lui, neutralité ou souveraineté entrent peu en ligne de compte : « Le jeune terroriste inscrit son geste dans une vision islamiste, qui est civilisationnelle et supranationale. Il s’agit de restaurer la grandeur passée du califat. Pour cela, il faut battre les concurrents que sont les juifs et les chrétiens. » Certes, mais un regain souverainiste, en Suisse, ne permettrait-il pas de faire face à des volontés de ce type ? Pour ce spécialiste des questions de société, rien ne l’indique : « La Suisse est souveraine, la chose est de toute façon garantie. Avec la famille de ce jeune, on n’a probablement pas affaire à un cas Schengen, donc rien qui ait un rapport avec la question de la libre-circulation des personnes. C’est une famille qui s’est installée conformément aux règles et l’on ne peut en aucun cas affirmer à ce stade de l’enquête (ndlr 7 mars 2024) qu’elle partage les vues radicales du jeune auteur présumé de l’attaque. »
« La Suisse a abdiqué ses valeurs »
Une toute bête manifestation de choc de civilisation, donc ? Telle n’est pas la vision d’un sympathisant du Hezbollah d’origine libanaise vivant dans le canton de Vaud que nous avons contacté : « Il y a surtout une instrumentalisation du conflit au Proche-Orient pour alimenter une haine antimusulmane », tonne ce catholique, en condamnant néanmoins l’agression survenue à Zurich. Il refuse en outre l’idée qu’Israël, « État fondé sur le terrorisme » à ses yeux, serait l’avant-garde de l’Occident comme on l’entend souvent.
Message radical, donc, mais quid de la neutralité helvétique ? S’il s’y dit tout à fait favorable, il n’en demeure pas moins selon lui que les habitants de notre pays ont bien le droit d’exprimer leur opinion sur des conflits lointains. Il estime que la Suisse a de toute manière abdiqué ses valeurs en s’alignant sur les sanctions contre la Russie ou en projetant le drapeau israélien sur la Tout de l’Horloge de Berne au lendemain des attaques du 7 octobre.
Pour sauvegarder la neutralité, cesser de brader la nationalité
Président de l’UDC Vaud, Kevin Grangier se montre plus combatif : « La neutralité est un pilier historique sur laquelle la Suisse a bâti paix et sécurité. C’est vrai pour notre cohésion nationale et sociale, donc à l’intérieur de nos frontières, comme à l’extérieur, dans nos relations diplomatiques et internationales. Bien sûr, cette attaque terrible à Zurich a un lien avec le conflit israélo-palestinien qui fait rage en ce moment, mais elle s’inscrit aussi dans une dérive qui affaiblit la Suisse depuis trop longtemps : comment rester en sécurité si on ouvre sans aucun contrôle nos frontières à des immigrés qui importent leur conflit dans notre pays ? Pire, par faiblesse d’esprit, on brade notre nationalité et on attribue des passeports suisses comme on vend des petits pains ! Comment rester souverains si on continue à naturaliser des gens qui ne comprennent, ni ne partagent nos piliers fondateurs, comme l’est, en autre, la neutralité ? » Et de fustiger « la politique d’immigration et d’intégration coupable de la gauche » qui a implicitement conduit, à ses yeux, à l’attaque antisémite zurichoise.
Ces propos font écho à ceux tenus au Grand Conseil zurichois, peu après l’attaque : le député UDC Tobias Weidmann y a suscité le tollé en déclarant que l’antisémitisme, désormais, ne venait plus de la droite, mais de la gauche anticapitaliste et des migrants.
Kevin Grangier, quant à lui, conclut en rappelant la demande du Conseiller d’État zurichois et ancien socialiste Mario Fehr de révoquer la nationalité de l’agresseur.